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 En deçà des murs

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MessageSujet: En deçà des murs   En deçà des murs EmptyVen 1 Juin - 16:05

Vuzlin s'éveilla peu après que le Soleil eut fait son apparition au-dessus de la ligne de l'horizon. Bien sûr, il aurait été bien en peine de le remarquer, au vu de l'endroit où il se trouvait. Émergeant du sommeil profond qui avait été le sien, il ne percevait à travers ses paupières mi-closes qu'une pâle lumière aux reflets rougeoyants. Les rideaux, de teinture carmin, ne barraient qu'à moitié le passage de cette dernière et contribuaient grandement à entretenir l'atmosphère qui régnait dans la chambre. La décoration toute entière n'était que nuances de rouge, des tentures aux tapis. Peut-être car cette couleur renvoyait à la vie elle-même, évoquant tout à la fois l'amour et... le sang. Pourtant, il y en avait bien d'autres. Certaines évoquaient l'ondée, d'autres encore les vertes prairies s'étendant à perte de vue. Quant à savoir pourquoi son choix s'était portée sur celle-ci... Toujours était-il qu'il n'avait pas eu à s'en plaindre. L'Extase pouvait se vanter de n'être pas le dernier de ces lupanars infects où l'on attrapait à coup sûr la vérole. Pour ce qu'il en avait vu, l'endroit semblait aussi respectable que pouvait l'être un tel établissement. Cela étant, il n'était pas un client assidu des maisons closes, pas plus qu'ils ne fréquentaient habituellement les catins esseulées de Vënmher et d'ailleurs. Cependant, il n'avait nullement l'intention de s'attarder en Ekëstrim et pas plus l'envie de séduire quelque autochtone. Et puis, en tant que Merisien, il doutait que le charme opère avec des femmes qui le dépassaient de bien plus qu'une tête. Aussi s'était-il tout naturellement dirigé vers la maison close que l'on disait - fait étonnant pour un étranger tel que lui - tenue par le chef de la milice locale.

Il n'avait eu qu'à donner son nom et on l'avait immédiatement traité avec plus d'égards que de la part de certains de ses sujets. Il n'avait pas eu besoin de dire quel fonction il occupait. Son seul nom était connu partout en Elirondia et lui ouvrait bien des portes. On l'avait introduit dans un petit hall où se délassaient clients et courtisanes. Il n'avait pas cherché à parler aux premiers, évidemment. Pas qu'il fut pudique mais il n'était pas là pour converser avec eux. En revanche, il avait beaucoup parlé avec les sublimes jeunes femmes qui se tenaient devant lui. Il les avaient entretenues de longues minutes, à tour de rôle, et n'avait eu qu'à se vanter de leur esprit. La plupart était bien plus fine et mieux dégrossies que bien des personnes qu'il connaissait, qu'il s'agisse de politiciens, de soldats ou de marchands. Fait qui le surprit agréablement, ces ravissantes personnes venaient de tous les horizons : Ondaliennes raffinées, certes, mais aussi fougueuses Eradrins, insouciantes Éthérées et même mystérieuses Bannies. Certaines d'entre elles étaient de son propre peuple mais elles ne l'intéressaient pas en cette occasion, bien qu'il se demandât ce qui avaient pu les conduire en ces lieux. Il cherchait quelque chose de différent, de... l'exotisme en quelque sorte. Et il s'était longtemps tâté, hésitant à choisir telle beauté plutôt qu'une autre. Finalement, son choix s'était portée sur une svelte Ondalienne à la chevelure de feu qui répondait au nom de Lyanna. On l'avait présentée comme particulièrement douée pour les arts de la sensualité et... par tous les Dieux, cette réputation n'était pas usurpée. Elle l'avait conduit par la main et lui avait montré quelques unes des pièces dans lesquelles elle exerçait. Après avoir choisi, ils étaient entrés puis s'étaient embrassés. Ils avaient fait l'amour, à nombreuses reprises, et elle l'avait également gratifiée de quelques danses si lascives qu'elles frisaient allègrement l'indécence. Elle avait de même un joli brin de voix et ses chansons étaient aussi douces que des caresses, et tout aussi plaisantes. Ils avaient bu sans modération, Vuzlin ayant commandé des liquides alcoolisés en abondance. Liqueurs, vins, alcools forts, ils s'étaient enivrés et la soirée avait viré à la débauche la plus totale. Il avait atteint des domaines du royaume des plaisirs qu'il n'avait jusque-là fait qu'imaginer. Si bien qu'à la fin il ne sut plus où donner de la tête. Et alors que le nuit touchait à sa fin, il s'était assoupi, son petit corps pressé contre celui de la fille de l'Eau.

Seulement, tout cela relevait maintenant du passé. Et le présent apportait son lot d'inconforts. Il était épuisé, perclus de douleurs diverses. Sa tête menaçait à tout moment d'exploser et il avait comme mal au cœur. Il tâcha tant bien que mal d'ouvrir les yeux, sentant confusément qu'il ne parviendrait plus à se rendormir. La fille, elle, dormait encore, lui faisant dos. Il avait apparemment eu le sommeil agité puisqu'il se trouvait à l'autre bord du lit alors qu'il était serré contre elle lorsqu'il s'était couché. Il se rapprocha, couvrant avec peine la distance qui les séparait. Il se risqua à une caresse, quoiqu'il n'ait pas envie de la réveiller. Elle émit un petit bruit qu'il identifia comme un gémissement. Un sourire s'ébaucha sur ses lèvres avant de se muer en rictus de déplaisir. Une douleur aiguë lui transperça le crâne. Maudite migraine ! Il attendit patiemment que l'élancement se taise puis effleura une fois de plus Lyanna de sa main, dessinant ses courbes attrayantes. Sa peau était légèrement bleutée, comme pour toute Ondalienne, ce qui participait de son charme. Il repoussa ses cheveux roux pour regarder plus attentivement les trois lignes fines qui indiquaient la position de ses branchies. Une petite chose bien curieuse mais qui ne ruinait en rien sa beauté. Il l'embrassa à la base du cou et elle gémit un peu plus intensément. Il sentit son sexe se durcir mais il n'était malheureusement pas question de recommencer. Après une telle nuit, il n'était pas au mieux de sa forme. Et puis, il avait à faire ailleurs. Il ne pouvait se permettre de rester trop longtemps.

Il se glissa hors de la couche encore chaude et se trouva devant un miroir. Il avait le poil hirsute et le regard un peu éteint. Puis, il tendit la main pour se saisir de quoi se vêtir. Il enfila d'abord ses braies mais ce n'est qu'au moment où il commença à glisser ses jambes dans ses chausses qu'il entendit le son à peine perceptible d'une porte tournant sur ses gonds. La porte de sa chambre. Il se maudit intérieurement d'avoir oublié de la verrouiller la veille, obnubilé sans doute par les charmes de l'ardente Lyanna. Qui donc pouvait bien vouloir entrer à une telle heure de la journée, lorsque certains clients dorment encore et que d'autres commencent à partir ? Il allait bientôt le savoir.

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MessageSujet: Re: En deçà des murs   En deçà des murs EmptyVen 8 Juin - 23:19

Iry Laodais n'était pas le genre d'homme à fréquenter les maisons closes. Son enfance avait été des plus candides, son adolescence avait été bien trop riche en évènements pour lui laisser le temps d'appréhender pleinement sa sexualité, et ses premières années d'adulte ne lui avaient pas laissé plus de répit. Oh ses deux cycles passés sur les terres du peuple de l'eau avaient exalté sa vie question érotisme, les mœurs des Ondaliens laissant assez peu de place à l'innocence et la vertu, mais la droiture Eradrine coulant dans son sang l'avait toujours retenu sur des sentiers plutôt chastes. Même si sa curiosité et son sens du défit avaient effacé la virginité de son corps, le jeune homme croyait toujours bien plus à l'union sentimentale qu'au plaisir charnel sans lendemains. S'il était loin de prêcher l'amour éternel – après tout sa propre mère avait eu plusieurs amants –, Iry pensait que tout acte sexuel sans désir autre que celui de la chair était vain, voire déshonorant. Rester prisonnier de ses pulsions était méprisable et dangereux, aussi bien pour son intégrité physique que mentale. Mais peut-être que cette ligne de pensée ne résultait que de la profonde peur de l'Eradrin à faire preuve d'encore plus de faiblesse.
Néanmoins, malgré toute sa méfiance vis à vis du dévergondage, le jeune Messager du peuple du Dragon se trouvait à présent dans l'un des endroits les plus indécents d'Elirondia, dans l'une des plus réputées des maisons closes d'Ekëstrim, l'Extase. Iry, s'il était relativement innocent niveau sexualité, était surtout curieux et impulsif, et d'autant plus farouche que la situation présentée ne semblait pas attenter à sa vie. Et c'était donc le plus naturellement du monde qu'il avait relevé le défit de ses connaissances Ondaliennes de les accompagner en un tel lieu. Et si les expériences forgeaient le caractère et élargissaient les horizons, à la prochaine invitation de ce genre – qui avait tout de la manipulation – peut-être que l'Eradrin y repenserait à deux fois avant de se lancer dans pareille entreprise !

Alors que les ténèbres grignotaient les dernières lueurs du jour afin de tapisser de leur sombre manteau la voûte céleste, les pas d'Iry Laodais l'avaient guidé dans une étroite ruelle excentrée du quartier pauvre où il avait alors poussé la porte d'un petit pub. Siégeant sous les voûtes délabrées de ce qui devait anciennement être une luxueuse bâtisse, l'endroit n'avait pas grand chose de chaleureux et rare était l'étranger osant y pénétrer. Le mobilier semblait avoir traversé les générations et vécu toutes leurs péripéties, les murs de bois étaient peints d'une substance hétérogène graisseuse plus ou moins identifiable, le sol couvert d'irrégularités disparaissait dans l'ombre des tables resserrées, la lumière vacillante des quelques lampes à huile ne diffusant rien d'autre qu'une atmosphère de torpeur nébuleuse. Cependant, si la journée la lugubre pièce retentissait du brouhaha des habitués du coin, de l'éclat des choppes s'entrechoquant et des couverts tintant contre les assiettes, des bruits de régurgitations et des violentes joutes verbales, la nuit tombée elle revêtait bien d'autres airs. C'était un lieu que l'Eradrin avait appris à fréquenter alors qu'il apprenait l'art du verbe avec de nouvelles connaissances Ondaliennes. Une fois les astres hauts dans le ciel, ils se rendaient en petits groupes d'initiés dans ce singulier bar, afin de se défier les uns les autres dans des tournois d'improvisation théâtrale. Et si le jeune homme avait décidé d'y retourner lors de son passage en Elaën, ça n'était pas seulement pour retrouver ses connaissances Ondaliennes, ou pour apprécier l'ambiance joueuse et provocatrice vespérale, mais pour obtenir quelques informations sur un sujet bien précis. Parce qu'après tout, c'était le genre de lieu et d'évènement propice à la récolte de renseignements, directs ou indirects. Néanmoins, et bien que l'Eradrin s'était promis de ne pas se prendre au jeu des Ondaliens pour cette fois, le Messager se fit encore avoir par la dextérité verbale de ces derniers et se laissa embarquer dans une expédition dans les quartiers chauds de la ville.
Alors que minuit recouvrait la capitale d'une robe d'étoiles étincelantes et de fraîcheur, ils avaient été un petit groupe de quatre à poser le pied dans l'enceinte aux contours incertains des pavillons dédiés aux plaisirs de la chair. Aussi disparates que les politiques se succédant dans le pays de la déesse Nimyë, les bâtisses attiraient l’œil de part leur opulence ou leur vétusté. Il y avait probablement là pour tous les goûts, tous les besoins et toutes les tailles de bourses – sans jeu de mots –. Ça n'avait pas été la première fois que l'enfant du Dragon avait senti sur ses vêtements la chaleur des lanternes du quartier de la luxure, mais il n'était alors jamais entré dans l'une des maisons de celui-ci. Iry, n'avait jamais ressentit le désir de se laisser aller aux corps experts des filles de joie, et l'idée le révulsait même. Comment pouvait-on éprouver autre chose que de la disgrâce à atteindre les plus hauts sommets du plaisir, le plus grand état de vulnérabilité, par la main d'une inconnue ? Cependant, Iry fût amené à briser son score parfais de zéro fréquentation des lupanars lorsque ses connaissance Ondaliennes décidèrent – et le décidèrent grâce à une habile tournure de phrase – de passer leur nuit entre les murs de l'Extase.

L'Eradrin avait du admettre que le bâtiment était d'une élégance et d'une finesse savante, mettant aisément en valeur les activités et les employées qu'il abritait. Et le jeune homme avait passé près de trois heures à examiner sous toutes les coutures le hall dans lequel on l'avait emmené pour choisir sa, ou ses, partenaires de couche. Les sculptures représentant avec une dérangeante précision quelques rapports sexuels avaient été les premières pièces attirant le regard du Messager, et c'était avec un mélange de fascination et de stupeur qu'il les avait observées durant quelques minutes avant qu'une jeune Ondalienne ne l'aborde. Après quoi il avait donc reporté son attention sur les diverses figures poudrées déambulant sous la luxueuse voûte de la maison close. Iry savait qu'il n'était pas le seul étranger à fouler la terre d'Ekëstrim, mais il n'avait pu s'empêcher de ressentir de la surprise en découvrant les silhouettes de femmes – et de clients – de toutes les races. Autant de beautés et de personnalités hétéroclites qui donnaient un caractère à la fois exotique et familier au lieu, faisant probablement l'une de ses plus grandes forces.
Incertain du rôle qu'il devait jouer, enrôlé dans cette virée de son plein gré – enfin bon, il avait quand même eu conscience de se faire un petit peu contrôler – mais rebuté à l'idée de passer sa nuit dans la concupiscence, l'Eradrin avait passé ses premières heures à l'Extase à observer la décoration, les clients, les courtisanes, à discuter légèrement avec ces dernières tout en sirotant un verre de vin. Si bien que, lorsqu'un duo de filles de joie arriva enfin à saisir son entière attention, il avait spéculé sur la vie de tous les clients passés devant ses yeux, classé les courtisanes par un algorithme prenant en compte couleurs, motifs, épaisseur, originalité et richesses de leurs vêtements, compté le nombre de cristaux des deux magnifiques lustres éclairant la pièce et calculé la vitesse de vidange des bouteilles d'alcool et des corbeilles de fruits. Iry n'aurait su dire ce qui l'intrigua autant chez ces deux interlocutrices, leur caractère, leur gestuelle calculée et séduisante, la délicatesse de leurs traits, l'intelligence de leurs propos... Peut-être que son soudain désintérêt pour la décoration ne fût motivé que par son état de fatigue et d'alcoolisation, mais ces deux jeunes femmes – une Ethérée et une Mérisienne – déclenchèrent un déclic dans l'esprit du jeune homme qui réalisa soudain que les informations qu'il n'avait réussi à trouver un peu plus tôt dans le petite pub des quartiers pauvres, il pouvait les recueillir ici. Il n'aurait pas été étonné que les jeunes femmes fussent aussi bien informées que les autorités, la confidence sur la couche étant relativement facile. Après cette illumination sur fond de brouillard éthylique, Iry accorda plus de neurones à la conversation avec les courtisanes – et pas seulement les deux à l'origine de celle-ci –, et si force lui fût de constater qu'elles ne révélaient qu'avec parcimonie leurs secrets, divulguant avec aisance banalités ou rumeurs mais se gardant bien de délaisser la discrétion faisant l'honneur des quartiers chauds quant aux sujets plus profonds, il prit véritablement plaisir à converser avec ces esprits s'avérant bien plus habiles et fins qu'il ne le pensait. Si bien qu'il finit la nuit en compagnie d'une jeune Ethérée... pour parler.
Oh ils s'étaient bien laissés aller à quelques jeux de séduction, mais l'Eradrin avait fait sentir à la courtisane qu'il n'était pas prêt à s'engager plus loin dans l'acte charnel sans le regretter par la suite, et elle avait eu la délicatesse de ne pas l'y pousser. Ainsi avaient-ils passé la fin de la nuit, allongés sur les doux draps de satin, à discuter de choses et d'autres jusqu'à ce que le sommeil ne les emporte.

Passant distraitement sa main sur le couvre-lit, Iry posa son regard encore embrumé sur la silhouette gracile de la jeune femme dormant paisiblement à ses côtés. Il gardait le souvenir d'un moment agréable passé avec elle, l'Ethérée ayant fait preuve d'une sagesse, attention, et sérénité dont il n'avait pas l'habitude mais avait été gré. Cependant il n'était pas certain de l'intégrité de leur conversation, tout comme de celles qu'il avait eues avec les autres courtisanes, et cela le froissait un peu. Il savait que malgré leur carrure les Eradrins étaient sujets à l'alcoolisation, et se reprochait d'avoir été si peu attentif à sa consommation qui, dans d'autres circonstance, aurait pu lui nuire. Soupirant, le Messager du peuple du Dragon se leva doucement et avisa son sac traînant un près de la porte. Avec son anémie, boire n'était pas exactement la meilleure chose à faire et il se dépêcha de gober les gélules riches en fer que son apothicaire de référence lui avait confectionnées. Grimaçant à l'arrière goût amer de la drogue, le jeune homme reposa son regard sur la courtisane qui dormait toujours. Malgré la sympathique nuit qu'ils avaient passé ensemble, l'Eradrin n'éprouvait pas le désir de rester plus longtemps en sa compagnie et ne voyait pas ce qu'elle pourrait lui rapporter, mieux valait qu'il retrouve son ami Ondalien Véol avec lequel il avait prévu de passer la matinée. Il était certain de l'avoir vu entrer dans la chambre deux portes plus loin. Quant aux deux autres connaissances étant venues avec eux, elles étaient bien assez grandes pour se débrouiller seules et il les retrouverait probablement le soir venu dans le petit pub du quartier pauvre.
Enfilant la veste que lui avait prêté Véol la veille et passant la bandoulière de son sac par-dessus son épaule, Iry déverrouilla la porte de la pièce et sortit de celle-ci. Le couloir donnant sur les différentes chambres était sombre et silencieux, et certaines portes ouvertes laissaient à penser que quelques clients s'étaient déjà envolés vers d'autres occupations. L'Eradrin s'arrêta devant celle qui devait contenir son ami et hésita un instant avant d'actionner la poignée sans frapper auparavant. A sa surprise – le Messager ne s'attendait pas vraiment à ce que ce ne soit pas verrouillé, il avait agit par impulsion –, la porte s'ouvrit sans opposer de résistance et le jeune homme pénétra dans la pièce en lançant un regard au verrou qui n'était visiblement pas tourné. Au moins ne s'agissait-il pas d'un défaut à la charge de l'établissement.

- Tu devais être bien imbibé, commença à murmurer Iry en relevant les yeux vers le fond de la salle. Pour oublier de...

Le client de la chambre était réveillé, mais ça n'était pas Véol. Ça n'était pas du tout Véol. Le jeune homme resta interdit face au Mérisien qui occupait les lieux, son cerveau semblant être resté coincé sur le fait que la personne qu'il avait vu entrer dans cette pièce n'était pas la même qu'il retrouvait à présent. Évidemment, dans l'état de fatigue qu'il se trouvait en accédant à l'étage en compagnie de la courtisane il avait du faire une erreur de compte ou oublier certains détails durant la nuit – voire confondre cet homme avec son ami ce qui était tout de même plus inquiétant – mais les neurones encore endormis de l'Eradrin étaient restés sur l'option stupeur et n'étaient pas prêts à aller chercher ce genre d'explication rationnelle.

- Par les cornes de Menrath, mais vous n'êtes pas Véol, déclara le jeune homme avant de réussir à relier sa bouche à son cerveau.
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MessageSujet: Re: En deçà des murs   En deçà des murs EmptyDim 10 Juin - 14:43

Vuzlin prit tout de même le temps d'enfiler correctement ses chausses. La situation dans laquelle il se trouvait était déjà assez gênante ainsi pour que ne s'y ajoute pas l'inconfort de se trouver tout débraillé devant l'inconnu qui avait pénétré dans la chambre. Bien sûr, il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même : il avait été particulièrement stupide de ne pas penser à verrouiller la porte. Les femmes lui faisaient parfois perdre la tête, il le savait bien, mais il lui fallait ce genre de désagrément pour se rendre compte à quel point cela pouvait lui nuire. Il tenta, sans grand succès, de se composer un visage propre à le faire paraître plus à l'aise qu'il ne l'était vraiment. Le résultat final était plutôt mitigé. Aussi décida-t-il de répondre, sans plus se soucier de sauver les apparences :

Véol ? Hum... non, ce nom ne me dit décidément rien. Mais allez, je manque à tous mes devoirs. Mon nom est Vuzlin Arthrond, fils de Dwillkin Arthrond. Et dans ce lit, la douce Lyanna, ma compagne d'une nuit, si je puis m'exprimer ainsi.

Il mit à profit le temps gagné en prononçant ces mots pour enfiler un haut. C'était un bel habit, fabriqué par les meilleurs tailleurs d'Ekëstrim à partir d'un tissu dont la qualité ne cessait de l'émerveiller. Il était d'une légèreté impressionnante, tout en vous protégeant des grands froids comme des chaleurs excessives. Il avait opté pour la couleur verte, jugeant qu'elle était en accord avec sa fonction de Patriarche, et donc de gardien de la Pierre d’Émeraude. Au niveau de la poitrine, on pouvait voir l'unique motif ornant le vêtement, l'idéogramme de la Terre, le même que représentait le tatouage qu'il portait à cet endroit précis du corps. Une fois habillé de façon décente, il examina rapidement l'arrivant. Un Eradrin. Il était grand, certes, comme tous ceux de sa race, mais Vuzlin savait qu'il n'était sûrement pas un géant parmi les siens. Il semblait même plus petit que les autres êtres du Feu qu'il avait déjà croisés. Plus étrange était sa pâleur. Pour sûr, il n'était pas aussi blanc que pouvait l'être un Merisien tel que lui mais sa peau était anormalement claire pour un Eradrin. Il se différenciait également par un silhouette plus élancée, plus svelte que la majorité de ses congénères. Bien sûr, beaucoup de Merisiens auraient été incapable de seulement s'apercevoir de ces menues différences mais lui avait pu rencontrer un certain nombre d'êtres du Feu et s'en rendait compte aisément. En revanche, ce qui ne pouvait échapper à personne, c'était la noirceur de ses yeux, à peine interrompue par le fin cercle rougeâtre qui cernait chacune de ses pupilles. Elle le désignait comme un Crache-cendre, un être incapable d'utiliser pleinement la magie de sa race. Une personne intrigante, décidément.

Vous avez sûrement interverti ma chambre avec celle de votre ami, poursuivit Vuzlin, un peu plus assuré à présent qu'il était dans une tenue correcte, et ma porte n'était pas fermée. Une situation quelque peu embarrassante pour nous deux, mais pas dénuée d'un certain comique. Il semblerait que le destin aime à provoquer ce genre de quiproquo.

Tout en parlant, il se saisit des tiges de métal qui maintenaient les verres dont il se servait pour améliorer sa vision. Une invention d'une grande utilité, les Merisiens ayant une acuité visuelle des plus basses. Ainsi, il put voir plus distinctement son interlocuteur.

Enfin, je parle, je parle... mais vous ne m'avez toujours pas dit qui vous étiez. Pas que vous y soyez obligés, notez bien. Mais puisque nous sommes ainsi, l'un en face de l'autre, il me semble bien plus civil de connaître nos identités respectives. Et comme je me suis présenté, il ne serait que justice que je sache qui vous êtes. Par contre, avant que vous ne me répondiez, je pense qu'il serait judicieux de quitter cette pièce. Mon.. amie a besoin de repos et je m'en voudrais de la réveiller. Allons donc dans le couloir, nous pourrons discuter si vous n'y voyez pas d'inconvénient.

Il s'avança, saisissant au passage les quelques affaires qu'il avait emmenées, toutes rassemblées dans un sac de voyage léger. A l'intérieur se trouvait l'argent dont il devrait se délester pour prix de cette nuit de délices. Tout le reste de ses possessions se trouvaient dans la maison de ce notable ondalien qui avait si aimablement proposé de l'héberger le temps de son séjour en Elaën. Il pouvait partir l'esprit tranquille. Et puis, peut-être que cette rencontre impromptue enrichirait sa journée. Il était venu en Ekëstrim pour le travail mais également pour prendre un peu de bon temps. Et s'entretenir avec de parfaits inconnus ne lui semblait pas une occupation plus indigne qu'une autre, quand bien même ils vous auraient surpris dans la chambre d'un bordel.
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MessageSujet: Re: En deçà des murs   En deçà des murs EmptyLun 11 Juin - 0:48

Spoiler:

L'esprit encore embrumé mais très certainement déconcerté, Iry observa dans un silence scrutateur l'homme lui faisant face, ses neurones fatigués lui ôtant momentanément tout sens de bienséance. L'inconnu continuait à s'habiller et ne semblait pas prêter trop d'attention à l'intrus ayant pénétré dans sa chambre, mais l'Eradrin se doutait que, malgré son calme apparent, ses pensées devaient être bien plus agitées qu'il n'y paraissait. A part si l'homme était aussi endormi que lui-même l'était, ou aveugle et sourd, ou totalement inconscient. Ils étaient certes dans un lieu peu propice aux violences, et Iry avait plus ou moins annoncé qu'il n'avait rien à faire avec cet inconnu, mais toute personne disposant d'un tant soit peu d'instinct de survie se se serait sentie mal à l'aise voire menacée dans la situation qui était leur. D'ailleurs, le jeune homme devait admettre qu'il aurait sans doutes bien plus paniqué si la situation – et leurs tailles respectives – avait été inverse.
Le Messager du peuple du feu n'avait pas fréquenté énormément de Mérisiens au cours de ses 29 cycles – presque aucun en réalité – mais la stature à la fois petite, trapue et solide de l'inconnu ne lui permettait pas vraiment de douter quant à son appartenance raciale. N'ayant aucune silhouette comparative lui venant naturellement à l'esprit, Iry n'aurait su dire si l'homme était plutôt imposant parmi les siens, d'une sveltesse à faire pâlir d'envie ses congénères, ou tout simplement aussi grossièrement cubique que lui-même le trouvait. Le torse nu de l'inconnu révélait sans honte une forte musculature capable de gagner l'estime de tout Eradrin digne de ce nom, laissant apparaître les chefs musculaires jouant avec puissance et finesse sous la peau assombrie par le clair-obscure de couleurs chaudes balayant la pièce. Mais plus que son contenu c'étaient les marquages le recouvrant, dont le tracé présentait une adresse et une élégance poignante, qui fascinaient le plus l'enfant du Dragon. Positionnés comme ils étaient, il ne pouvait apprécier l'ensemble des motifs, et n'arrivait pas vraiment à distinguer ce que représentaient les tatouages. Iry en était à se demander comment serait perçue son attitude s'il essayait d'appréhender les marques dans leur ensemble en se déplaçant, quand l'inconnu prit finalement la parole, le déstabilisant par la soudaineté de l'action.

- Véol ? Hum... non, ce nom ne me dit décidément rien, déclara le Mérisien en enfilant un haut. Mais allez, je manque à tous mes devoirs. Mon nom est Vuzlin Arthrond, fils de Dwillkin Arthrond. Et dans ce lit, la douce Lyanna, ma compagne d'une nuit, si je puis m'exprimer ainsi.

Ce fut la décharge électrique qui réveilla les neurones encore un peu ralentis de l'Eradrin. Non, il ne se trouvait pas face à son ami Ondalien et aurait mieux fait de se retirer après s'être excusé. Même si le peuple du Dragon était loin d'être connu pour sa discrétion et sa délicatesse, il venait sans doutes de propulser à des niveaux abyssaux l'estime de l'homme quant au savoir-vivre des enfants de Menrath, ce dont le jeune homme ne se sentait pas très fier. Néanmoins, s'il avait fait preuve d'un peu plus de civilité un peu plus tôt, il aurait sans doutes raté cette occasion en or. Parce que le Messager avait beau avoir peu de contacts chez le peuple de la terre, il était loin de manquer d'éducation et reconnaître les familles des plus hautes sphères de part leurs noms était une tâche relativement aisée. Et puis bon, il fallait quand même être issu de la cambrousse profonde d'Althéria pour ne pas connaître le nom des Représentants des quatre, voire cinq, Nations. Cependant, Iry ne pouvait que douter du véritable statut de son interlocuteur. Etait-il vraiment celui qu'il prétendait être ? Les tatouages marquant sa peau, la forte musculature, la puissante aura se dégageant de sa personne, la dignité avec laquelle il avait accueilli cette situation pour le moins particulière, le verbe assuré étaient autant d'éléments qui laissaient à penser que le Mérisien ne mentait pas. D'ailleurs, les enfants de Vënker n'étaient-ils pas aussi droits que ceux de Menrath sur ce point ? Peut-être, mais quel dirigeant ne s'était jamais sali les mains ou n'avait jamais craché du poison pour le bien d'Elirondia, de son peuple, de sa famille, ou de sa propre personne ? Enfin, le Messager ne voyait pas ce qu'un Mérisien lambda gagnerait à emprunter le nom de son Patriarche en de tels lieux, les réputations sulfureuses nuisant assez rarement aux divers Représentants des Nations.
Le jeune Eradrin était par ailleurs relativement déçu et frustré de ne pas avoir eu le temps d'appréhender les tatouages de l'homme de leur totalité, mais il n'était pas certain d'être prêt à l'admettre et encore moins à s'aventurer sur les chemins un peu trop aventureux du fin fond de sa pensée lui soufflant que si le peuple de la terre organisait un jour un concours miss et mister Vënmher le Patriarche aurait alors toutes ses chances vu comment il était foutu. Non, vraiment, ça n'était pas un sujet sur lequel il souhaitait épiloguer et éloigna rapidement ces dérangeantes pensées.

Se sentant observé à son tour, Iry riva automatiquement son regard sur les yeux scrutateurs de l'homme lui faisant face. Et se raidit le temps d'une fraction de seconde. Les iris du Mérisien étaient d'un carmin à faire pâlir de convoitise tous les Crachecendres, et l'Eradrin dut faire un effort considérable pour s'obliger au calme et à la déférence de rigueur. Cependant, ses poings crispés tremblaient presque de rage et de jalousie. Qui était cet homme, cet étranger au peuple du Dragon, pour pouvoir arborer l'attribut le plus honorable, et qui faisait la fierté, du peuple du feu ? Pourquoi Menrath lui avait-il accordé bien plus qu'il n'avait offert à certains de ses propres enfants ? Vuzlin Arthrond était sans doutes un homme puissant physiquement, mentalement et psychiquement – ça n'était pas pour rien qu'il avait accédé au titre de Patriarche – mais pourquoi l'avoir favorisé lui, alors qu'il avait déjà à son écoute l'étendue immense et immuable de la terre ? La partie raisonnable d'Iry savait que la couleur rouge des yeux de l'homme tenait plus à des caractères inhérents au sang familial de celui-ci qu'à son possible lien privilégié avec le dieu du feu, mais son âme déjà blessée par ses faiblesses magiques et son parcours atypique pour un Eradrin ne pouvait que se révolter face à cette injustice physique.
Bien que d'apparence relativement peu tendu – ses yeux s'étaient légèrement plissés, sa posture décontractée et endormie était à présent plus alerte, et ses poings restaient crispés pour retenir cette démangeaison le poussant à vouloir arracher les deux offensants globes de leurs orbites – le Messager de Phoebia ne pouvait empêcher le déferlement de ses pensées, et en oublia même de saluer en bonne et due forme l'important personnage face à lui.

- Vous avez sûrement interverti ma chambre avec celle de votre ami, poursuivit la voix du Patriarche dont la voix plus assurée traversa comme une brindille le tourbillon de songes de l'Eradrin. Et ma porte n'était pas fermée. Une situation quelque peu embarrassante pour nous deux, mais pas dénuée d'un certain comique. Il semblerait que le destin aime à provoquer ce genre de quiproquo.

Ponctuant ses paroles d'un nouveau geste, posant un étrange artéfact de fer et de verres opaques devant ses yeux, le Mérisien soulagea sans le savoir la tempête animant l'esprit d'Iry. Ce dernier éprouva alors bien moins de mal à se concentrer sur les autres attributs de l'homme – d'ailleurs cette forte mâchoire semblant capable de déraciner les arbres était un bon point d'attache pour son regard, simple, neutre, inoffensif – et d'accorder aux diverses informations lui parvenant leur juste valeur. Comme cette barbe, par exemple, était-elle entretenue par un savon spécial ? La colère du Messager s'envola quelque peu pour être remplacée par un sentiment de honte, lui-même ne devant pas être très présentable dans ses habits froissés de la veille et ses traits abîmés par la fatigue et l'alcool.

- Enfin, je parle, je parle... mais vous ne m'avez toujours pas dit qui vous étiez. Pas que vous y soyez obligé, notez bien. Mais puisque nous sommes ainsi, l'un en face de l'autre, il me semble bien plus civil de connaître nos identités respectives. Et comme je me suis présenté, il ne serait que justice que je sache qui vous êtes. Par contre, avant que vous ne me répondiez, je pense qu'il serait judicieux de quitter cette pièce. Mon.. amie a besoin de repos et je m'en voudrais de la réveiller. Allons donc dans le couloir, nous pourrons discuter si vous n'y voyez pas d'inconvénient.

Malgré son appréhension à suivre cette si importante personne si joliment dotée – d'yeux rouges – pouvant probablement nuire à sa santé plus vite que les flammes ne dévoraient les bois, Iry était tout aussi intrigué par le Patriarche – tant que rien ne lui prouvait éhontément le contraire il avait décidé que l'homme était bien ce qu'il prétendait être – qu'il le redoutait. Et puis leur rencontre, bien que très étrange et incongrue, était l'occasion pour lui de vérifier certaines choses, de trouver quelques réponses à des questions auxquelles, la veille, aucune de ses connaissances ou des courtisanes n'avait su répondre.
Parce que le Mérisien ne semblait pas le craindre, ni vouloir le trucider pour son offense ou autre raison, et paraissait même accueillir sa présence avec une certaine bonhomie, l'Eradrin se permit d'agir de manière un peu plus civilisée et moins distante. Alors que le Patriarche récupérait ses affaires, le jeune homme lui ouvrit la porte, s'inclina respectueusement lorsqu'il en passa le palier et suivit le fils de Vënker dans le couloir en refermant derrière eux. Un peu plus loin dans la sombre allée le bruit de pas d'un client, crissant au contact des lattes de bois, s'éloignait vers la sortie de l'établissement.

- Je suis l'un des Messagers du peuple du feu, Iry Laodais, se présenta sommairement le jeune homme en se ré-inclinant brièvement. Et, bien que les circonstances soient.. particulières, vous me voyez honoré de me retrouver en votre présence.

Iry se garda bien de lui préciser qu'il serait encore plus honoré de lui ôter ces deux globes oculaires narguant le peuple du Dragon de leur regard rougeoyant.
Le jeune homme ne savait pas si son nom, si sinistrement entaché, était connu par-delà les frontières de Phoebia. Les Mérisiens étaient certainement des gens s'occupant peu des petites affaires ou rumeurs courant chez leurs voisins, leur caractère raisonnable donnant probablement leur juste valeur – c'est à dire infime – à ces superficielles informations, mais en sa qualité de Patriarche, son interlocuteur avait peut-être suivi de plus près les péripéties politiques du pays du Dragon. Et l'Eradrin ne pouvait s'empêcher de vouloir tester le Représentant de la Nation de la terre, d'observer ses réactions même les plus anodines, de le classer, catégoriser, cerner, identifier sous toutes les coutures afin de minimiser l'influence de cette importante personne sur lui-même. Afin de mieux pouvoir se protéger.

- Veuillez pardonner mon indélicate intrusion dans votre chambre, je ne pensai pas violer l'intimité du Patriarche en poussant cette porte, proposa Iry d'une voix contrite.

Peu de chambres s'étaient visiblement vidées au cours de sa mésaventure, mais l'Eradrin décida qu'il n'allait pas retenter l'expérience de pousser une porte pour essayer de trouver son ami Véol. Non, il le retrouverait plus tard dans ce petit salon de thé où ils se rejoignaient parfois afin de prendre leur première collation de la journée. D'ailleurs.. Le Mérisien était-il venu seul ou les dix-sept autres portes donnaient-elles sur les corps nu de ses fidèles frères d'arme – Vuzlin Arthrond était un grand garçon mais il était tout de même étrange de voir si grand dignitaire sans gardes du corps –  ?

- Serait-il déplacé de ma part de vous demander si vous êtes venu avec votre escorte? demanda d'un ton léger le jeune homme intrigué.
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MessageSujet: Re: En deçà des murs   En deçà des murs EmptyLun 11 Juin - 17:16

Spoiler:
Vuzlin ne sourcilla pas quand il entendit la question de l'Eradrin. Une personne mal intentionnée ne l'aurait pas ainsi questionnée, non. Elle l'aurait purement et simplement assassiné là, sans plus de raffinement. Et puis, il sentait bien que l'homme qui le dominait de sa hauteur ne lui voulait pas de mal. Pourquoi jouer une telle comédie quand il aurait été plus simple de le prendre par surprise ? L'être du Feu était bien ce qu'il disait être, un messager, ni plus ni moins. Quant à savoir pourquoi il tenait à être ainsi renseigné sur le niveau de protection l'entourant... sans doute n'y fallait-il voir qu'une marque sincère de curiosité. Et puis, il avait déjà en tête la réponse. Après tout, lui, Patriarche de Vënmher, ne faisait jamais rien à la légère. Il faisait toujours grand cas des particularités des lieux qu'il venait à visiter, l'Extase n'était pas une exception. C'est pourquoi il prit le parti de répondre en toute simplicité, employant malgré lui un ton qui se voulait didactique.

Mon escorte, dites-vous ? Non, pas cette fois. J'ai bien amené de mon pays quelques uns de mes chiens de garde en armure. De vrais professionnels, capables de découper un être de votre espèce en morceaux en quelques minutes si l'envie leur en prenait. Mais j'ai jugé que leur présence n'était pas nécessaire en ce lieu, où leur grossièreté naturelle risquerait fort de faire tâche. Ils gardent le reste de mes affaires dans le manoir de mon hôte pour cette visite, une tâche assurément plus simple pour eux que celle de faire bonne figure en société. Et autant dire que je crains plus d'être détroussé par cet édile obséquieux aux paroles mielleuses que d'être assassiné en ce lieu. Bien sûr, je sais ce que vous vous dites. "Quel imprudent de venir ici sans protection ! " Seulement, c'est une pensée erronée. L'Extase, de ce que je sais, est tenue par le chef de la Milice. Ayant eu vent de ma venue, je peux vous assurer qu'il m'a discrètement fait surveiller et a pris toutes les dispositions pour me garder en vie. Honnêtement, je ne suis même pas sûr qu'on ne trouve pas parmi toutes ces filles quelques jolies agentes des forces de l'ordre chargées en temps normal d'arracher aux criminels leurs confessions sur l'oreiller. Je n'ai rien à redouter ici.

Il guetta une réaction de son interlocuteur et se rendit compte que ce dernier ne le quittait jamais des yeux, plantant fermement son regard dans le sien, comme un harpon solidement fiché dans la chair d'un cétacé. Il en éprouva une certaine gêne, se demandant si ses propos étaient la raison de l'intensité de ce regard ou si quelque chose dans son apparence suffisait à l'expliquer. L'homme semblait vraiment confus de l'avoir ainsi dérangé mais il y avait autre chose dans son comportement qui le troublait, sans qu'il put l'expliquer. Comme si quelque chose dans sa personne déplaisait à l'Eradrin. Cependant, il ne comptait pas s'attarder là dessus. Il était bien difficile de corriger une première impression mais il ne se laissait jamais abattre par un échec. C'était presque un caprice de sa part mais il n'avait pas l'intention de laisser filer ce visiteur impromptu. Il décida donc d'éloigner la conversation du sujet de sa protection pour la recentrer sur la personne de son interlocuteur.

Enfin, ne parlons plus de tout cela. Il n'est de plus triste manière de commencer la journée que de parler de ces aspects si peu glorieux de la politique. La sécurité des dirigeants est sans nul doute un fondement de la sécurité d'état, elle n'en demeure pas moins un sujet bien peu digne de conversation, comparativement à l'art, la religion, l'économie et la diplomatie. D'ailleurs, ma connaissance des arcanes de ce dernier sujet me fait à présent entendre une vérité que je n'avais pas encore percée à jour dans mon esprit embrumé. Vous vous nommez Laodais, ai-je bien entendu ? J'imagine donc que vous n'ignorez pas grand chose des aspects politiques qui régissent la vie en Phoebia. Vous devez donc avoir bien des choses à dire si je ne m'abuse.

Il n'avait pas tenu à s’appesantir plus que nécessaire sur la réputation qui pouvait coller à la peau d'un Laodais. Lui-même ne connaissait l'histoire que de loin, l'ayant lue sur des rapports d'espions merisiens et d'informateurs eradrins achetés à la cause du peuple de la Terre par de généreuses "donations". Et c'était une sale histoire, pas de doute là-dessus. La trahison de Misgard Laodais n'était sûrement pas excusable, à moins que pactiser avec un dirigeant étranger pour abattre l'élu légitime de Menrath ne soit que bagatelle. Mais Jathel Linandëis s'était substitué au champion choisi par toute une communauté, acte que l'on punissait un temps en Vënmher par la précipitation du criminel dans le grand Abîme, l'usurpation de l'identité d'un représentant de la volonté populaire ou divine étant alors passible de mort. Sa victoire et la révélation de la rouerie de Misgard avaient bien sûr rendu caduque la nécessité d'un châtiment. Il n'aurait pas été tolérable de mettre à mort ou d'emprisonner celui qu'avait finalement choisi Menrath mais quand on y réfléchissait, cette victoire était due à une duperie bien peu glorieuse, surtout pour un Eradrin. Et bien qu'il n'eut jamais remis lui-même en cause la légitimité de Jathel, il n'était pas non plus dans ses intentions de traiter tous les membres restants de la famille Laodais comme des criminels en puissance.

En tout cas, il était sûr qu'ils ne pourraient pas parler à l'aise dans ce couloir. L’Extase était peut-être un lieu accueillant et ouvert à toutes les personnes respectueuses du travail des professionnelles qui y œuvraient dans l'intimité des chambres, elle n'en demeurait pas moins une maison close, et sûrement pas un salon de thé ou un club de discussion. Aussi jugea-t-il bon de le faire remarquer à Iry.

Bien sûr, ces murs ne sont pas l'endroit idéal pour converser comme les deux personnes civilisées que nous sommes. Il n'y a de place ici que pour les échanges murmurés sur l'oreiller, quand il n'est pas question de la volupté et des cris qui peuvent en résulter. Je ne désire pas vous contraindre à accepter ma présence à vos côtés mais je me fais une joie de vous accompagner là où vous irez, que nous puissions parler plus à notre aise. J'ai bien des choses à faire mais très peu qui ne puissent pas attendre. Et aucune qu'il ne serait bon de préférer à la rencontre de gens de bien. Alors, acceptez-vous ma compagnie, sieur Laodais ? Et si oui, en quel lieu vous agréerait-il d'aller ?

Il remonta d'une pichenette l'artefact qu'il portait sur le nez, un léger sourire sur les lèvres. La journée commençait d'une façon des plus étranges, et cela n'était pas pour lui déplaire. Que lui réservait la suite des événements ?
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MessageSujet: Re: En deçà des murs   En deçà des murs EmptyDim 24 Juin - 20:58

Visiblement le Représentant de la Nation de la terre savait ce qu'il faisait, à en croire son discours. Interminable discours. Iry, qui ne s'attendait pas vraiment à une réponse aussi longue et argumentée, ne pouvait s'empêcher de se demander si le Patriarche était le fidèle reflet des enfants de Vënker ou si sa langue bien pendue était un trait qui lui était bien propre. Peut-être que l'homme était habitué à gratifier ses interlocuteurs de belles élocutions, à devoir justifier ses actes et à asseoir ses décisions par la juste parole, ce qui n'aurait pas été étonnant vu son statut. Enfin, le Héraut avait beau être la personne la plus importante de Phoebia, le Messager était convaincu qu'en bon Eradrin Jathel Linandëis était aussi mauvais avec les mots qu'il était bon au combat physique. Son vocabulaire ne devait pas voler plus haut que « traître », « ennemi », « bataille », « duel » et « honneur ». En toute objectivité, bien évidemment.
Cependant, malgré la justesse de ces mots, l'enfant du Dragon n'était pas certain que Vuzlin Arthrond arrivât à la cheville des Ondaliens dans l'art de manier le verbe. Ses paroles avaient une tournure bien trop franche, bien trop logique et sincère pour pouvoir prétendre toucher et rallier toutes les âmes. En un sens, bien qu'implacable dans son raisonnement, le Mérisien faisait preuve d'une droiture que tout Eradrin aurait appréciée et saluée. Néanmoins, le jeune homme était conscient que c'était cet esprit rationnel et cohérent qui faisait toute la différence avec son propre peuple. Bien que certainement incapable de manipuler les cœurs comme le faisait si bien le peuple de l'eau, le Patriarche – et les enfants de la terre – devait être un individu peu influençable sentimentalement, à l'inverse des autres peuples. Une force, mais probablement aussi un fardeau.
Iry ne commenta pas l'explication de l'homme quant à l'absence de son escorte. C'était bien plus que ce à quoi il s'était attendu en retour, mais il n'était pas du genre à cracher sur les informations que lui lâchaient gratuitement ses interlocuteurs. Enfin, ça n'était pas non plus comme si le Patriarche venait de lui révéler qu'il avait eu des enfants avec la Souveraine, comptait demander la main du Grand Pontife et allait passer sa lune de miel en Thorgal. Non, il s'y attendait un peu à ces informations, elles ne faisaient que confirmer ses spéculations. Ce qui était toujours bon pour son ego.

- Enfin, ne parlons plus de tout cela. Il n'est de plus triste manière de commencer la journée que de parler de ces aspects si peu glorieux de la politique. La sécurité des dirigeants est sans nul doute un fondement de la sécurité d'état, elle n'en demeure pas moins un sujet bien peu digne de conversation, comparativement à l'art, la religion, l'économie et la diplomatie.

Le Messager du peuple du feu haussa légèrement les sourcils et son regard s'appuya un peu plus sur la silhouette trapue de son interlocuteur. Le Patriarche pensait-il vraiment qu'un Eradrin lambda se complaisait à discuter de ces sujets ? Pour les enfants de Menrath, rares étaient les objets atteignant la valeur de la force, de l'honneur et du combat, et Iry n'aurait pas été étonné d'apprendre que certains de ses congénères ne connaissaient même pas le terme d'art. Lui-même, bien que curieux de nature, trouvait autant d'intérêt concernant cette discipline qu'à l'appariement de la couleur de ses dessous. Soit aucun, sauf situation nécessitant un peu plus d'attention de sa part sur ce point. Le Représentant de la Nation de la terre avait-il délibérément choisi de mentionner ces thèmes là, ou le Messager décortiquait-il un peu trop son interlocuteur et cette tournure de phrase était aussi anodine que la présence de lave dans un volcan ?

- D'ailleurs, ma connaissance des arcanes de ce dernier sujet me fait à présent entendre une vérité que je n'avais pas encore percée à jour dans mon esprit embrumé. Vous vous nommez Laodais, ai-je bien entendu ? J'imagine donc que vous n'ignorez pas grand chose des aspects politiques qui régissent la vie en Phoebia. Vous devez donc avoir bien des choses à dire si je ne m'abuse.

L'Eradrin observa un instant son interlocuteur avant de promener son regard sur le décor environnant. Donc son nom n'était pas inconnu aux oreilles du Mérisien, tout comme l'histoire rattachée à celui-ci. Néanmoins, le Patriarche ne semblait pas vouloir en faire tout un Krälur. Il n'avait fait preuve d'aucune animosité en apprenant à qui il s'adressait, ni d'intérêt morbide, et pas plus de sympathie candide ou déplacée. Comme s'il n'avait pour le moment aucun avis tranché sur son interlocuteur, aucuns préjugés. Il l'invitait même à s'exprimer sur le sujet sans le forcer, sans sembler attendre quoi que ce fût de sa part dont il aurait pu profiter. Ce qui était plutôt déconcertant pour Iry. Depuis sa tendre enfance on avait attendu de sa part des résultats, une implication complète dans tout ce qu'il entreprenait, et la déchéance de son nom n'avait fait qu'aviver davantage la flamme expectative de son entourage. A quoi pouvait donc penser Vuzlin Arthrond en s'adressant ainsi à l'Eradrin ? Souhaitait-il vraiment en savoir plus sur les méandres politiques de la terre de feu, ou faisait-il sciemment allusion à ceux-ci pour rappeler au Messager que sa place, son existence, tenait encore à un fragile équilibre ? Que pouvait lui rapporter l'un ou l'autre ?
Iry s'humecta distraitement les lèvres, préparant une réponse à la fois évasive et provocatrice afin de sonder les pensées de son interlocuteur qui, décidément, lui échappaient. Néanmoins, il avait beau tourner et retourner les mots dans sa tête, il n'arrivait pas à trouver les tournures lui permettant d'atteindre son but. A sur-analyser les paroles déroutantes du Patriarche le Messager s'égarait dans ses spéculations, ce qui ne lui facilitait pas la tâche déjà peu naturelle en tant qu'Eradrin. Si bien que le Représentant de la Nation de la terre éleva à nouveau la voix avant qu'il ait eu le temps d'ouvrir la bouche.

- Bien sûr, ces murs ne sont pas l'endroit idéal pour converser comme les deux personnes civilisées que nous sommes. Il n'y a de place ici que pour les échanges murmurés sur l'oreiller, quand il n'est pas question de la volupté et des cris qui peuvent en résulter.

De ces dernières précisions le jeune homme se serait bien passé et il commençait à penser que son interlocuteur aimait un peu trop le son de sa propre voix. Cependant, ce qui l'alertait le plus était la tournure finale que prenait la tirade de Vuzlin Arthrond. Or Iry n'était pas prêt à laisser le fils de la terre s'échapper alors qu'il avait besoin de lui – plus que de n'importe qui d'autre dans cette ville pourtant aux couleurs de l'eau – pour tirer au clair certaines de ses interrogations et mener à bien sa mission. Il n'avait pas été des plus loquaces durant leur introduction, et peut-être ne s'était-il pas montré assez intéressé, mais il était prêt à faire preuve de plus de sollicitude et de persuasion pour obtenir ce qui lui avait fait poser le pied sur le parquet d'ébène de l'Extase, voire sortir lasso et filet si besoin était. Il ouvrit la bouche pour témoigner au Patriarche tout son intérêt pour sa personne et le convaincre de passer un peu de temps en sa présence lorsque ce dernier enchaîna sans attendre et battit une nouvelle fois l'Eradrin sur la prise de parole.

- Je ne désire pas vous contraindre à accepter ma présence à vos côtés mais je me fais une joie de vous accompagner là où vous irez, que nous puissions parler plus à notre aise. J'ai bien des choses à faire mais très peu qui ne puissent pas attendre. Et aucune qu'il ne serait bon de préférer à la rencontre de gens de bien. Alors, acceptez-vous ma compagnie, sieur Laodais ? Et si oui, en quel lieu vous agréerait-il d'aller ?

Oh. Heu... Quoi ? Avait-il bien entendu ? Le Représentant de la Nation de la terre n'était pas en train de le recaler mais plutôt en train de le prier de lui tenir compagnie ? Lui. Insignifiant petit pion de l'échiquier Elirondien, déjà en posture délicate de surcroît. Enfin, si le Patriarche aimait prendre le temps de s'intéresser aux individus lambda côtoyant quelques parcelles de son chemin, ça n'était pas Iry qui allait s'en plaindre ! Cette occasion, quoi qu'inespérée, tombait plus qu'à pic et il n'allait pas la laisser s'échapper !

- Comment ? Heu... OUI ! Enfin, j'veux dire que oui : il me serait gré de vous tenir compagnie en ce début de journée, réussit à sortir maladroitement l'Eradrin, encore sous le choc – la surprise avait la mauvaise tendance à ramener son cerveau à l'état primitif de base de ses congénères niveau élocution –. Et j'aurai besoin de votre avis sur un sujet. Si ça vous dérange pas.

Le jeune homme réfréna de justesse une grimace en entendant sa propre réponse enfantine, mais il ne pût s'empêcher de tripoter machinalement la bandoulière de son sac tant son embarra était grand. Quel Messager digne de ce nom s'adressait à ses interlocuteurs avec le vocabulaire et la finesse d'un môme de dix cycles ? Se secouant mentalement, Iry s'obligea à remettre ses jambes en mouvement et à apporter un peu d'ordre et de discipline à ses pensées.

- Mais cet endroit n'est effectivement pas des plus propices à ce genre de discussion, se reprit l'Eradrin d'un ton plus posé. Si vous le voulez bien, réglons nos affaires respectives et avisons un lieu plus adéquat. Je connais un petit salon de thé à quelques rues, fort agréable en cette heure encore matinale, si cela vous tente.

Le Messager de Phoebia ne disposait que d'un savoir théorique vis-à-vis de la race Mérisienne, et s'il savait que cette dernière n'était pas du genre à faire la fine bouche il avait tout de même du mal à imaginer la forte silhouette du Patriarche au milieu du délicat mobilier dudit salon de thé. Enfin, peut-être que lui-même avec sa taille d'Eradrin, une fine tasse de porcelaine entre les paluches, apparaissait tout aussi incongru et déplacé dans un tel endroit. Néanmoins, il était curieux de voir l'attitude de l'homme dans pareille situation et espérait que ce dernier ne lui proposerait pas plutôt un bar ou un jardin public – même s'il le suivrait alors sans poser de questions parce qu'entre le savoir et la dentelle, son cœur balançait mais quand même ! –... et puis bon, ok, ça lui permettrait aussi de retrouver plus facilement son ami Véol.

- Comme vous devez vous en douter, les sujets que j'aimerai vous soumettre sont de nature politique, avança Iry tout en fouillant le fond de son sac pour trouver les piécettes lui permettant de payer sa – chaste – nuit. Mais si j'ai effectivement bien des choses à dire sur la politique de mon peuple, je pense que ce que vous savez actuellement sur.. certains aspects de celle-ci vaut largement mon propre savoir, continua l'Eradrin en reposant son regard scrutateur sur la silhouette de Vuzlin Arthrond.
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MessageSujet: Re: En deçà des murs   En deçà des murs EmptyMer 27 Juin - 16:12

Vuzlin s'étonna d'abord que le jeune Eradrin accepte de le suivre si promptement, puis se rappela quelle était sa fonction, avec un brin d'amertume. Patriarche... pourquoi avait-il souhaité l'être, au fond ? Et puis, l'avait-il vraiment choisi ? En tant qu'élève doué et, probablement alors, meilleur forgeron de sa génération, il avait tout naturellement été désigné comme candidat de sa caste à la désignation du Patriarche. Un grand événement, s'il en est, tant l'espérance de vie des Merisiens en fait une rareté. Il était jeune alors, n'y voyait que le prestige et les honneurs, et la possibilité d'agir pour le bien de tous. Il avait sa jeunesse durant acquis un sens certain de l'équité, comme si le simple fait d'être le rejeton d'une lignée si longtemps méprisée l'avait incité à la compassion et à la compréhension plutôt qu'aux jugements expéditifs. Autant le dire, une fois passée l'ivresse de la victoire et de la vengeance, ainsi que le deuil de son père, il avait bien vite déchanté.

Les vieux du Conseil le retenaient de tout bord, l'empêchant d'agir à sa guise. Bien sûr, il savait qu'ils étaient des garde-fou indispensables, nécessaires pour empêcher l'avènement d'une tyrannie dont le peuple pourrait faire les frais. Mais il ne pouvait s'empêcher de penser qu'en l'occurrence, si tyrannie il y avait, c'était bien celle du Conseil. Ces vieux boucs - et quelques très rares chèvres - conservateurs ne désiraient jamais que la préservation des traditions, sans même chercher à comprendre qu'une évolution pouvait être souhaitable. Qu'il les avait détestés, alors. Il savait manier la hache avec une certaine dextérité, invoquer des puissances naturelles si terribles qu'il pouvait aisément surclasser n'importe lequel de ses congénères et plier le métal à sa volonté pour en faire des armes et des outils d'une solidité et d'une efficacité sans égale. Mais rien ne l'avait préparé aux incessantes joutes verbales qui l'opposait aux vieillards, qui avait finalement fait de lui l'orateur qu'il était - plutôt bon, relativement à la culture de son peuple. Tout y était prétexte : des réformes qu'il envisageait pour la société merisienne jusqu'à sa façon de s'habiller. Quant à sa vie privée... autant dire qu'il en avait vite fait le deuil, et appris à assumer chacune de ses coucheries. Il s'étonnait même qu'un espion ne se trouve pas sous chacun des lits qu'il "visitait". C'était une vie qu'il avait sans aucun doute désirée mais qui ne lui semblait plus si attrayante à présent. Il aimait son travail mais ses rapports aux autres avaient changé. Il ne savait plus si on le suivait aujourd'hui par amitié, par admiration, par devoir ou par... intérêt. Pourtant, il s'y était résigné, sans savoir si c'était une bonne chose.

Tout cela, bien sûr, il y pensait en même temps que l'Eradrin lui parlait, lui donnant un air songeur. Mais il avait ressassé de telles réflexions si longtemps qu'elles lui laissaient toute liberté d'écouter ses interlocuteurs avec la plus grande attention. Elles constituaient plus un arrière-plan désagréable à la marche habituelle de ses pensées qu'une gêne réelle. Cependant, il voyait bien qu'il n'était pas le seul à se sentir un brin mal à l'aise. La réponse de l'Eradrin sonna d'abord faux, avant de reprendre une meilleure allure. Sans doute fallait-il seulement n'y voir qu'une forme de surprise. Après tout, n'importe qui ne pouvait pas prétendre avoir les attentions d'un chef de nation. Bien sûr, il avait tenté - avec succès ou en vain, il l'ignorait - de se construire une réputation d'accessibilité mais sans doute n'avait-elle pas dépassé les frontières du pays souterrain. Ce n'était sans doute pas plus mal, mais il se languissait des contacts spontanés qu'il avait connu dans sa jeunesse : une rencontre, pas de protocole, des paroles échangées en toute sincérité, sans enjeu diplomatique derrière chaque phrase. Cela lui manquait terriblement. Cependant, il était, lui plus que quiconque, conscient de ses devoirs. Il parlait peut-être beaucoup, quitte à paraître imprudent, incapable de se retenir, il n'en demeurait pas moins le Patriarche. Cela arrivait assez peu souvent, puisqu'il comptait sur son naturel compréhensif pour désamorcer les conflits, mais il pouvait aussi faire preuve d'une grande fermeté. Ce qui n'était généralement pas sans risque pour la personne en face de lui.

Bien entendu, Iry ne risquait rien. Quoiqu'il semblât quelque peu suspicieux, par certains égards, il lui apparaissait en même temps comme quelqu'un de passablement moins agressif et emporté que le restant de sa race. Était-ce parce qu'il était un Crache-cendres ? Non, cela n'avait aucun sens. Les Eradrins avaient le sang chaud, c'était un fait. Des millénaires d'une éducation dans ce sens devait bien déteindre sur même le plus incompétent des Crache-cendre. Peut-être cet homme avait-il voyagé, se mêlant aux autres races, empruntant à leur mentalité pour se forger une personnalité plus mesurée que ne le suggérait son ascendance. Lui-même comprenait qu'on puisse étouffer dans le carcan des archétypes. Il avait connu parmi les siens des furieux dont la fougue égalait celle des Eradrins, de fins esprits et de maudits conspirateurs qu'on eut crû élevés par les Ondaliens, et des rêveurs patentés qui auraient connu leur bonheur en Altheria. Pour ceux-là, la vie était souvent bien dure, et la division de la société en caste n'arrangeait rien. Sa famille en était le parfait exemple. Quant au fait qu'Iry se montre différent, et bien... c'était préférable, en un sens. Son aventure avec Jathel Linandëis lui avait montré que le peuple du feu faisait parfois preuve de plus de courage et d'honneur que de bon sens. Et il sentait qu'il n'aurait pas à s'inquiéter de pareils excès aux côtés d'Iry. Cela, peut-être plus que tout le reste, expliquait la confiance qu'il lui accordait. Et en même temps les réserves qu'il conservait à son égard.

Et bien, dit-il, je n'y vois aucun inconvénient. Si peu de temps après le lever, il n'est pas sage d'ingurgiter des boissons alcoolisés. Un thé sera très bien, oui. Et puis nous pourrons parler sans être couverts par le bruit. Même si les salles communes des tavernes sont sans nul doute plus occupées en ce moment par des soulards assommés au cours de quelque bagarre et d'ivrognes assoupis que de joyeux, mais beuglants, fêtards. Vous pourrez m'entretenir de ce que je pourrais ignorer. Et je vous assure que bien des choses ne sont pas venues à ma connaissance. En retour, et si je juge que cela ne menace pas les intérêts de mon peuple ou la Paix des Quatre, je répondrai à vos questions. Cela dit, à moins que je ne me trompe, vous n'avez pas une tête à comploter, que ce soit contre moi ou qui que ce soit. Enfin bref, prenez les devants et guidez-moi jusqu'à votre salon de thé. Si je ne m'abuse, nous devrions y trouver votre ami. Si ce dernier est en prime Ondalien, nous formerons là une bien étrange compagnie pour les gens du coin.

Il fit un geste, signifiant à Iry de passer devant. Les choses suivaient leur cours. Il avait eu dans l'idée de faire une rencontre amicale, et il avait toujours cet espoir. Mais il se rendait compte en même temps qu'il était curieux de voir ce que pourrait lui demander l'Eradrin. Et, du fait de son patronyme, il commençait à entrapercevoir sur quoi se porterait ses interrogations... ou plutôt sur qui.
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