Un jour peut être qu’Alenor se résoudra à travailler, mais l’envie n’y était toujours pas, même après 33 cycles. Elle vivait dans le confort grâce à son statut de Conseillère et la fortune de ses parents. Abygaël lui répétait souvent qu’elle devait sortir un peu plus, le travail lui ferait rencontrer des personnes autres que celles qu’elle côtoyait dans les affaires entre les patries ou que les personnes du Palais. Et même si elle prenait l’initiative de débuter dans le monde du travail, elle n’avait aucune idée du poste qu’elle pourrait envisager. Elle ne savait ni se battre avec une arme blanche, ni utiliser ses mains pour un travail manuel, non la seule chose qu’elle pouvait aspirer était dans le domaine de la magie. Son don était plutôt développé et la jeune femme en avait conscience. Alenor riait souvent après coup de voir la terreur des jeunes domestiques qui était en proie à sa colère lorsqu’ils avaient fait une erreur. Car oui il n’était pas rare de voir sa magie se manifester quand elle était énervée. Et avec un caractère comme le sien, il n’était pas dure d’éveiller ses soupons.
Mais ce jour là n’était pas encore arrivé, elle alla déjeuner dans sa suite après avoir exigé son repas. Les domestiques ne méritaient pas son respect, elle n’utilisait donc quasiment aucune politesse. Elle avait pour habitude de ne manger que des algues, n’aimant pas particulièrement les poissons contrairement aux autres membres de son espèce. Après le déjeuné, elle chercha son manteau en fourrure blanche même si on devinait une température douce grâce aux rayons de soleil entrant par la fenêtre. C’était plus une question d’esthétique qu’autre chose car son élément : la glace, lui permettait de ne pas réellement souffrir du froid.

Elle envisageait d’aller nager avant de rencontrer le Juge. En effet il lui faisait son compte rendu mensuel avant qu’il rencontre la souveraine. Souvent la conseillère se permettait de juger si la rencontre avec Abygaël était nécessaire ou non, rôle qu’elle n’aurait pas du prendre. Prenant son maillot, elle le glissa dans son sac fait en peau de Vosgun et sortit du Palais pour arriver dans la cours.

Alenor ne faisait jamais vraiment attention aux personnes autour d’elle. Connue pour être la Conseillère et aussi la pire des garces, les domestiques ou autres personnels du Palais l’évitaient comme la peste. Elle avait pris l’habitude de passer sans se détourner de sa route, incitant les autres à se pousser à son passage. Ainsi elle ne fit pas attention à cette petite fille en plein milieu, lui fonçant dessus bien convaincue qu’elle se pousserait. Il n’en fut rien, Alenor éjecta la fille en lui rentrant dedans. Folle de colère par cet affront, ses yeux se changèrent aussitôt en glace.

- Vous pouvez pas faire attention ? Aboya-t-elle d’une voix sèche.

Soudain elle remarqua que ce n’était pas une enfant mais bien une adulte. Ses longs bras lui mirent de suite la puce à l’oreille et elle comprit que c’était une Ethérienne. Un sourire cynique déforma son visage, elle méprisait ce peuple qui ne jurait que par la méditation et le calme. Ignorer l’argent et l’importance des choses matériels étaient tout simplement la pire des choses pour l’Ondalienne. Sa haine contre la femme était encore plus important, appartenir à cette rare était une erreur majeure dans cette dispute.

- Et vous avez le culot de ne pas vous présenter en plus de ça ? Puis votre tenue ! Aucune prestance, ça ne m’étonne pas d’une Ethérée, vous n’avez pas le gout des bonnes choses…

Ses yeux retrouvaient peu à peu leur couleur d’origine, la glace laissant place au naturel.

La Conseillère rigola, d’un rire fort et puissant, presque forcé. L’insolence… qu’elle aimait avoir du répondant en face d’elle. C’était bien plus amusant que quelqu’un qui s’écrasait dès le début. Elle aimait jouer, blesser et manipuler. Rien n’était plus réconfortant que de se sentir forte et crainte. Oui lire l’inquiétude dans le regard des autres était tout simplement délicieux, une chose dont elle ne pourrait plus se passer. L’éthérée remonta soudain dans son estime, enfin quelqu’un qui osait la prendre de haut ! Mais le jeu n’allait pas s’arrêter si facilement elle voulait voir jusqu’où son adversaire pouvait aller. Il n’était pas rare qu’elle pousse à bout les gens mais cette fois ci le vent allait tourner, elle voyait bien cette femme lui mettre la raclée qu’elle n’avait encore jamais reçue. Ceci rendait le jeu encore plus intéressant.
La jeune femme se racla la gorge accentuant ainsi le sourire cruelle d’Alenor.

- Savez-vous à qui vous parler ? Vous vous adressez à la souveraine en personne. Alors oui, dans votre intérêt il serait mieux pour vous que vous vous présentiez. J’ai un mot à dire et vous serez jeté hors de ce palais, et vous privez de sa visite serait une perte je vous l’assure. Il est d’une richesse, mais que dis-je ! Vous ne comprenez rien à la subtilité de l’art non ? En effet vous critiquez la femme que tous le monde imite en question vestimentaire, mais je ne vous en veux pas, vous n’êtes pas d’ici. Quant à votre tenue, elle n’est pas très convenable au sein d’un palais. On peut vous soupçonner d’y cacher une arme ou toutes autres choses. Je suppose que vous vouliez rester discrète, mais au sein du palais vous allez attirer toute l’attention… Je dis ceci pour vous aider, croyez moi.

Elle se voulait de suite plus gentille, du moins juste en apparence. Mentir, son deuxième passe temps favori. En effet elle n’était pas la souveraine mais une Ethérée qui n’appartenait pas au gouvernement (sinon elle l’aurait reconnu) ne devait pas le savoir, du moins elle l’espérait. L’amadouer, la séduire, la détruire, ou se détruire, tel était son jeu favori. Gagner, ou perdre rien n’avait de sens tant qu’elle y jouait. Elle sourit de nouveau, un sourire nouveau, beaucoup moins froid et méchant, il se voulait presque rassurant…


- Je vais d’ailleurs vous demander de me montrer en personne ce que vous pouvez cacher sous votre cape, par sécurité même si je me doute que vous n’avez pas de mauvaises intentions. Ainsi, si la souveraine en personne vous laisse entrer, vous n’aurez aucun souci avec les gardes.

Elle n’avait aucune idée d’où ce défi allait la mener. L’idée d’aller nager avait disparu de son esprit, seul le moment présent importait. Elle espérait ne pas tomber sur Abygaël. Son amie avait le don pour comprendre en un regard quand Alenor n’était pas honnête ou jouer avec les gens. Ce n’était pas qu’elle ne lui avait jamais dit, mais avec des personnes si têtues il n’y avait plus rien à faire.

Spoiler:

Les traits de la Conseillère se voulaient de moins en moins suspects. Elle allait jouer avec cette femme, l’induire en erreur jusqu’au bout si elle le pouvait. Au final personne ne dictait les règles du jeu, c’était à celui qui serait le plus malin. Mais encore fallait-il savoir que l’on jouait… Et la jeune Ethérée ne semblait pas encore être au courant qu’elle se trouvait en face d’une femme sans scrupule et dont la soif de pouvoir était souvent sans limite. Elle observa cette Janice, un prénom qui lui plaisait bien et dont elle ne connaissait pas l’existence. Ravie par cette surprise, la femme en face d’elle gagnait de nouveau des points dans son estime : audacieux, impertinente, il lui en fallait peu pour lui plaire et pourtant ce n’était jamais vraiment gagné avec elle… Aussi changeante que le temps, Alenor n’avait pas de limite c’était toujours d’un extrême à l’autre. Soit on l’a contrarié, soit on lui plaisait et dans les deux cas ce n’était jamais stable. L’extrême, son maitre mort, son terrain de jeu.

Elle observa la tenue de la jeune fille. Trop sobre, trop sombre, trop noir, trop discret, c’était à l’inverse des ses propres gouts. Etre remarquer et briller par ses tenues, voilà ce qu’elle aimait dans la mode. Seul le collier lui plut, une chose qui se remarquait facilement et se démarquait sur sa peau blanche. Elle inclina légèrement la tête quand elle vu Janice lui prouver son respect. Une manière d’entrer un peu plus dans le jeu.

- En effet je n’ai pas l’impression que vous aillez quelque chose à me cacher. Et si vous êtes si curieuse que ça, permettez-moi de vous y faire entrer. Cependant tant de richesses risquent de vous surprendre mais je ne vous en voudrais pas, après tout ce n’est pas vraiment de votre faute si vous êtes insensible à la beauté matérielle. L’éducation fait beaucoup de choses, bien trop de choses…

Chacun de ses mots se voulaient vexant, en restant cependant le plus polie possible. La vie était si triste qu’Alenor se nourrissait de tout ce qui pouvait la divertir. Elle voulait montrer à cette femme que son manque d’intérêt pour l’agent la rendait stupide, presque inutile. Son rôle de souveraine la rendait encore plus vicieuse, est ce que cette Janice arriverait à ignorer l’autorité d’un rang si puissant ? Tout le jeu résidait là dedans.
Elle attrapa son bras, se voulant familière pour lui montrer qu’elle ne lui voulait pas. Elle savait ce geste déplacée en étant des inconnues mais elle ne s’y attardait peu. Elle commença à l’entrainer vers l’intérieur, maintenant fermement son bras pour la dissuader de s’en aller. Un groupe de serviteur choisit ce moment pour observer avec insistance ce duo surprenant, la Conseillère d’habitude si froide et distante, tenait le bras d’une inconnue. Il y avait de quoi se poser des questions. Alenor affichait un sourire triomphant. Une fois de plus elle surprenait, qu’elle aimait attirer tous les regards.

Tout ceci aurait pu aller plus loin mais un valet vint les voir et saluant respectueusement la Conseillère, il dit d’une voix forte :

- Madame la Conseillère, votre Souveraine vous attend dans sa suite.

Il partit aussitôt, détruisant toute la stratégie d’Alenor. Elle était découverte, comment les choses allaient tourner désormais ?

Alenor préféra ne pas regarder l’inconnue mais plutôt fixer ce qui se trouvait droit devant elle. Un magnifique tableau où la Souveraine était représentée et où la glace, la vapeur et l’eau liquide formait un nuage de puissance autour d’elle. Une parfaite représentation de son pouvoir, dépassant tout ce qu’aurait pu espérer la Conseillère. Et pourtant elle était fière de sa magie qu’elle maitrisait bien, assez bien pour un jour pouvoir s’en servir pour son métier. Chose qu’elle n’était pas prête d’avoir, elle pouvait gérer son temps comme elle le voulait, tout en étant respectée par son statut de Conseillère. Elle trouvait presque choquant de se salir les mains en travaillant alors qu’elle possédait tout l’argent qu’elle voulait. A quoi pouvait penser Janice à ce moment ? La sensation d’avoir été trompée devait être la bonne. Alenor était presque fière de sa prestation quoiqu’un peu trop courte. Qu’allait-elle pouvoir faire désormais pour continuer à s’amuser ? La jeune Ethérée n’allait surement plus se laisser faire, et l’idée d’un affrontement plaisait bien à la Conseillère. Oui elle voulait se battre et montrer à tous sa magie, sa puissance qu’elle avait mis tant de temps à maitriser. Dans son regard on pouvait y voir un nouvel éclat, comme à chaque fois qu’elle trouvait un moyen de se divertir. Beaucoup aurait pu la traiter de folle, elle n’avait juste aucune limite. Le manque cruel d’éducation qu’elle avait eu lui faisait perdre le sens de la normalité, pour elle tout pouvait se faire.
Elle écouta Janice. Surprise de nouveau par cette femme, elle se laissa séduire par le fait de mentir encore un peu. Maintenant que son innocence n’était plus en vigueur, et que l’Ethérée savait dans quoi elle s’engageait, il n’y avait plus de place pour tromper l’autre, juste continuer jusqu’au bout ce petit manège. Est-ce que ce petit jeu pouvait aller jusqu’à l’affrontement ? Elle l’espérait plus que tout ! Alenor n’était pas dupe, l’Ethérée avait très bien compris, surement cherchait-elle à la faire regretter son geste ou simplement voir jusqu’où elle pouvait s’enfoncer dans le mensonge. Soudain elle eut une idée : elle lui lâcha subitement le bras et se mit face à elle lui lançant un regard plein de surprise.

- Alors comme ça vous vous sentez assez important pour que je n’aille pas à un rendez vous d’affaires ? Vous êtes vraiment surprenante jeune fille et j’aime bien ça chez vous. Alors comme vous pouvez être tout aussi impertinente et que j’apprécie ce trait de caractère, je vais continuer cette visite avec vous et le reste attendra.

Elle était pour une fois sincère dans ses propos, elle était surprise, agréablement surprise par ce petit bout de femme aussi surprenant qu’elle au final. Alors non elle ne voulait pas dire qu’elle lui ressemblait car elle se jugeait unique mais il y avait un petit quelque chose. Mais n’allez pas croire pour autant qu’elle allait apprécier cette personne, non elle cherchait le conflit avant tout. Une personne se savant prise pour une imbécile ne mettait pas longtemps pour s’énerver, et Alenor ne cherchait que ça !

- Cette Conseillère je ne crois pas que vous l’aimeriez, elle est comment dire … originale. Trop pour vous, les Ethérés préfèrent le calme non ? Et quel sens du gout, vous en seriez estomaquée je pense. Quand à moi, et bien je me dois de garder un minimum de recul par rapport aux autres, j’ai trop de responsabilités pour dévoiler si facilement ma vie privée, comprenez-vous jeune fille ?

Elle sourit mais ses dents avaient fait place à de la glace. Elle voulait l’effrayer, ou tout du moins la dégouter.

Alenor ressentit aussitôt une grande satisfaction quand elle remarqua que l’éthérée reculait d’un pas. C’était une victoire ridicule mais assez importante pour que la Conseillère continue son petit jeu. Janice n’était pas tombée sur la plus saine des femmes, son coté sadique en faisait d’elle une personne plutôt excentrique, peut être trop. Mais Alenor gardait le contrôle sur ses propres démons, devenir une personne saine la détruirait, elle ne pouvait pas quitter cette vie où seule la réussite et la domination comptaient. S’avouer ses propres faiblesses n’était pas encore d’actualité. Un frisson de plaisir parcouru la totalité de son corps, pour lui prouver une fois de plus que le jeu était loin d’être terminé. Elle ne l’assimila pas au vent qui venait de se lever, elle ne l’avait même pas remarqué, trop persuadée de maîtriser parfaitement ce duel. Peut-être que son ambition allait lui jouer des tours pour une fois. A force de gagner sur un terrain qui n’intéressait qu’elle, la jeune Ondalienne prenait de l’assurance, chose qui pouvait être dangereux pour elle. Jusqu’où pourrait elle allait ? Elle n’en avait aucune idée et c’était bien ça le problème. Ne pas connaitre ses limites la rendait bien trop instable.
Les paroles de l’Ethérée firent perdre le sourire à la Conseillère. L’impertinence elle aimait, mais il y avait des limites. Le savoir leur montait à la tête et les rendaient aussi stupides qu’inutiles. Qu’est ce qu’elle pouvait mépriser cette race…

- Allons dans une de ses cours intérieurs pour discuter, nous n’y serons que mieux.

C’est en s’approchant de nouveau de Janice pour lui attraper le bras qu’elle sentit enfin le vent. Elle ne mit pas longtemps à comprendre qu’à l’intérieur même du château, il ne pouvait pas y avoir de courant d’air d’autant plus qu’il faisait beau ce jour là. Elle arrêta son geste mais l’Ethérée ne pouvait que comprendre son intention. Reculant d’un pas, elle pencha la tête sur le coté, chose qu’elle faisait dès qu’elle aimait la manière dont tournait les situations.

- Auriez-vous peur que je vous attaque jeune fille ? Alenor sourit de nouveau, ne le changeant pas en glace pour une fois. Vous seriez bien embêtée si vous attaquiez une Ondalienne au sein même de palais, d’autant plus si c’est la Souveraine. Votre impertinence risque de tourner au ridicule, faites donc attention ! Un mot de ma part et vous serez encerclée, cependant je ne me refuserais pas un petit duel pour une fois.

Pour changer la donne et voir jusqu’au le sang froid de Janice pouvait aller, elle s’avança de nouveau vers elle et lui prit le bras pour l’entrainer comme elle l’avait décidé : dans une cours intérieure. Pour ne pas perdre la face elle rendit sa main glacée et l’Ethérée ne pouvait pas l’ignorer. Pour un affrontement le grand air était à privilégier, Alenor aimait trop les belles choses pour risquer de les casser et n’importe qui savait la richesse dont faisait preuve ce palais. Elle rendit le sol devant elle glissant, espérant que la jeune fille glisse.