• QUEL EST LE SUJET ?

Les journées étaient longues quand il n’y avait que de la paperasse, des convocations ou des audiences prévues à longueur de journée. Les personnes accédant à des hauts postes, par leur lignée ou par choix, étaient souvent les plus occupées. Quelques personnes ou vauriens du peuple laissaient entendre que ces dirigeants passaient leur journée à se la couler douce dans leurs appartements emplis de luxe et de choses en tout genre. Pourtant, malgré son air naïf, Abygaël ne passait pas ses heures de temps libre à faire tout et n’importe quoi. Bossant d’arrache pied pour que son peuple reste l’un des plus respecté, elle n’avait plus de temps pour elle. Aujourd’hui, elle voulait faire changer les choses, mais tout cela avait un prix.

Le temps était magnifique aujourd’hui et la belle Souveraine allait profiter de celui-ci. En effet, pour changer de ses entrevues au Palais de l’Eau, elle avait décidé de donner rendez-vous au chef de la milice dans un tout autre lieu. Il était improbable d’y croiser quelqu’un de si connu qu’elle mais la taverne manquait à Aby. Elle se souvenait de ses folles soirées quand elle était jeune. Ses soirées où le rire, la musique et l’alcool prenaient le pas sur tous les petits soucis quotidiens et les doutes qui embrumaient l’esprit. L’Ondalienne n’avait pourtant, pas pu se rendre à la taverne enchantée sans se faire suivre par une bonne poignée de gardes. Malgré ses réticences et ses râles, les soldats ne l’avaient pas lâchée d’un pouce. A priori, (dîtes-moi si je me trompe) elle était chef des êtres de l’eau, et aussi la plus puissance des mages de leur race, alors pourquoi personne ne se décidait à lui faire confiance en ce qui concernait sa sécurité. Grâce à la pierre de saphir, elle savait maitriser tout les styles que connaissait la magie de l’eau. De plus, elle maniait parfaitement les armes. Si sa mère adoptive lui avait appris à contrôler ses pouvoirs, ses parents biologiques, avant leur mort, avaient décidé qu’elle ne connaîtrait que le combat armée. Maître d’armes à déjà quelques années, elle égalait les plus grands combattants. Mais il valait mieux ! Les Souveraines avaient toujours été les principales gérantes de leur armée. Même si le chef de la milice, les généraux et autres commandaient les troupes, lors d’une guerre, ce serait elle qui aurait forcement le dernier mot et serait à la tête des tous les soldats. Si cela devait arriver, Abygaël n’aurait pas peur. La peur ne faisait plus partie intégrante de sa vie. Du moins, elle ne laissait pas cette émotion prendre le dessus.

La taverne enchantée était semblable à une petite chaumière. Une petite porte en bois pas bien épaisse laissait passer les bruits joyeux des hommes et femmes riants. Deux petites fenêtres encadraient celle-ci. Des ombres passaient, laissant penser à la bonne ambiance et aux mouvements effectués dans la bâtisse. Aujourd’hui, des gardes entouraient la petite maison, guettant le moindre signe suspect. Abygaël soupira et s’avança vers la taverne. Il y avait peu de monde. Un groupe d’Ondaliens des deux sexes, dans un coin de la salle, discutait, de bon cœur. Riant de temps en temps aux blagues de l’un, débâtant sur une phrase dite par un autre, la petite troupe semblait passer un bon moment. La Souveraine sourit tristement. Depuis qu’elle avait atteint le poste le plus haut de la hiérarchie, elle n’avait plus eu le temps de voir et d’avoir des amis. Quand les quelques personnes l’aperçurent, ils voulurent se lever mais Aby leur fit un signe de la main, leur disant de rester assis, accompagné d’un sourire. Ils le lui rendirent mais inclinèrent la tête en signe de respect. La belle femme se glissa sur une des chaises d’une table au centre de la pièce. Deux gardes vinrent rapidement l’entouraient. Elle roula des yeux et secoua doucement la tête. Était-elle vraiment en danger avec son chef de la milice ?

Assise sur sa chaise, entourée de l’odeur forte de l’alcool la Souveraine aurait fait tâche habillé d’une belle robe de cérémonie. Aussi, elle avait opté pour un pantalon de cuir moulant et un corset qui lui resserrait la taille et rehaussait sa poitrine alléchante et généreuse. Ses longs cheveux bruns glissaient sur ses épaules puis le long de ses côtés. Passant ses mains dans sa chevelure douce et soyeuse, elle attendit patiemment, refusant une boisson que lui proposait la serveuse. Elle allait attendre son chef de la milice, Edwind Haylon. La belle femme n’en savait pas tant que cela sur lui, elle avait décidé de lui accorder sa confiance, suivant son instinct. Pour le moment, il faisait merveilleusement bien son travail. D’ailleurs, il lui faudrait penser à le féliciter.

Bien vite, Aby remarqua le bel homme entrait dans la taverne. Elle le reconnut facilement. Tout à fait charmant, il lui fit un sourire et s’avança dans sa direction d’un pas stricte. Le chef de la milice la salua respectueusement en s’inclinant. La Souveraine ne put s’empêcher de sourire. Passant rapidement une main dans ses cheveux pour les lisser, elle lui fit signe de l’autre de s’asseoir face à elle. Jetant un regard noir aux deux gardes, elle leur lança :

" Je pense être en sécurité avec notre chef de la milice, n’est-ce pas ? "

Les deux soldats se regardèrent, ne sachant que faire. Ils semblaient un peu perdus entre les réactions étonnantes de leur Souveraine. Celle-ci soupira et les congédia en secouant la main d’un air qu’elle voulait exaspérée. Les deux hommes armés s’éclipsèrent plus vite que leur arrivée. Abygaël reposa son regard sur Edwind et lui sourit.

" Bonjour cher Edwind… Excusez-moi, je ne supporte pas d’être surveillée vingt-quatre heures que vingt-quatre comme une enfant… Et aussi pour le lieu, je voulais sortir un peu du Palais de l’Eau. C’est magnifique mais trop… sérieux et stricte peut-être… Pourquoi voulais-tu me voir ? "

La taverne était calme à cette heure-ci. Dans quelques temps, les premiers ivrognes feraient leur apparition pour faire comme la veille, boire et boire encore jusqu’à ce que leur esprit oublie la raison de leur venue ici. Certains s’abreuvent pour se délecter des goûts étonnants de chaque alcool, mais eux ne finissaient jamais, à moitié morts dans leur vomi. Puis il y avait ceux qui venaient dans la taverne enchantée pour oublier. Oublier leurs soucis, leurs doutes et les malheurs. Abygaël y songea rapidement. Pour elle, ce n'était pas la bonne solution. Après tout, elle pouvait faire pareil. S’enfuir, laisser son devoir à un autre, sombrer dans la démence et la dépendance, mais elle ne voulait rien de cela. Elle aimait son peuple et ferait tout pour lui.

La Souveraine était jeune, peut-être trop jeune d’ailleurs. Elle avait été destinée à gouverner. Pourtant, jamais elle n’aurait pensé le faire si tôt. Peu de gens placèrent leur confiance en elle en premier temps, la jugeant trop jeune, trop immature ou trop irresponsable. Aby n’y avait pas fait attention au début mais voyant les regards en biais de certains, elle s’était décidée à montrer qui elle était vraiment. A la tête du peuple de l’eau, la jeune femme s’était plongée dans les affaires des Ondaliens. Bien vite, la nouvelle Souveraine mit en place pleins de nouvelles choses. Recrutement, aide aux plus démunies, entrainement des armées, audiences en tout genre, elle avait su écouter son peuple pour améliorer leur royaume. Peu à peu, les Ondaliens se turent là ou d’autres félicitèrent Abygaël pour son travail et sa facilité à s’être accommodée de ses nouvelles fonctions. Elle fut de plus en plus respectée. « Le caractère d'un homme fait son destin. » murmurèrent beaucoup d’anciens. En effet, les personnes de l’eau s’étonnèrent à découvrir dans ce corps à l’apparence si fragile un caractère des plus forts et des plus têtus.

Pourtant, la belle femme restait quand même novice… Il restait plein de choses à revoir, à faire, à modifier et elle le savait. Mais par où commencer ? Plusieurs fois elle s’était lancée dans des sujets des plus durs pour les améliorer. Aujourd’hui, elle le sentait, Edwind ne lui avait pas demandé de la voir pour rien, comme tout le monde en ce moment. Il avait forcement quelque chose en tête, mais s’il pouvait l’aider, elle ne refuserait certainement pas. La Souveraine allait quand même se méfier. Son jeune âge ne faisait pas d’elle une personne stupide et incompétente. Elle savait que le pouvoir était une forme de motivation et elle ne connaissait pas assez le chef de le Milice pour dire si oui ou non il avait carte blanche.

Edwind s’assit rapidement face à elle, lui accordant un hochement de tête comme pour la remercier d’arrêter un supplice. Il sembla réfléchir un instant puis prit la parole d’une voix rauque mais pleine de charme. La politesse et le respect furent ressentis dans la phrase du chef de la milice quand il proposa de choisir le « divertissement » du jour : la boisson. Il sourit et fit signa au barman, demandant la meilleure bouteille possible. Aby ne dit rien, se contentant de sourire en coin et de le regarder faire. Rapidement, un jeune serveur déposa la bouteille ainsi que deux verres sur la frêle table en bois et remplit les deux verres. Edwind revint sur la raison de sa venue, il avait demandé ce rendez-vous pour quelque chose de défini, alors il n’allait pas se laisser distraire. Il commença alors son topo. La sécurité de l’état… c’était certain qu’il parlerait de son domaine. La Souveraine écouta sa première proposition et fit la moue quand elle se rendit compte qu’il avait raison. Même si cela l’embêtait. En tant que Souveraine, elle était aussi la plus haut placée dans l’armée, la personne qui détenait le plus de magie et elle était certainement l’une des meilleures combattantes. Aussi, elle estimait pouvoir se défendre seule même si le gouvernement ne semblait pas vouloir en entendre parler. Abygaël rit doucement quand il parla de ses deux gardes. A vrai dire, elle avait semé le reste de la petite troupe mais tous étaient incapables de la secourir, c’était certain.

Le chef de la milice continua en montrant du doigt deux hommes : un grand costaud qui regardait le barde ave un air désintéressé et un autre qui était accoudé au bar, son regard analysant la pièce. Sans aucun doute, Edwind mettait en valeur SES gardes, SA sécurité et SES mesures. Après tout il n’était pas chef de la milice pour rien, autant montrer qu’il en était digne. Jusque là, aucune erreur. Ensuite, il parla du recrutement. En effet, Aby avait demandé du recrutement mais d’après ce que disait Edwind, le travail était complètement bâclé, laissant des places à des incapables. Elle fronça les sourcils, il fallait remédier à cela tout de suite. Edwind demanda enfin ce qu’il attendait depuis le début de la conversation, elle l’avait senti. Transférer les compétences de la Garde Royale à la Milice… La jeune Souveraine planta son regard dans celui de l’homme tout à fait charmant. Il n’avait pas tord sur tout ce qu’il avait dit, fallait-il lui faire confiance ? Edwind lui fit un sourire et lui demanda d’un ton qui se voulait certainement posé et doux ce qu’elle en pensait. Abygaël se racla doucement la gorge et soupira avant de parler :

" En effet, ma garde personnelle laisse à désirer mais je dois avouer que je ne suis pas innocente dans cette affaire. Ne suis-je pas la personne la plus entrainée depuis ma plus jeune enfance et celle qui détient tous les pouvoirs de l’eau ? Je suis traitée comme ces poupées qui passent leurs journées à boire du thé. En aucun cas je ne suis comme elles. Je pense pouvoir faire attention à moi seule, mais j’accepte quelques gardes, pas toute l’infanterie d’Ekëstrim ! "

Sa voix avait légèrement monté en intensité alors qu’une certaine colère bouillait en elle. Elle avait l’impression d’être une enfant à qui on ne fait pas confiance. Abygaël était à la tête d’un peuple et pourtant, encore quelques personnes semblaient la prendre pour une incapable. Chaque haut poste avec sa garde, c’était obligatoire, mais pas des nounous. Le chef de la milice lui offrait là un changement qui pourrait certainement la mettre à son avantage. Calmant son esprit, elle bu une gorgée du vin qui emplit rapidement ses sens. La jeune femme se pencha sur la table, appuyant ses coudes sur le bord de celle-ci et posa son menton sur ses petites mains. Sa tête légèrement inclinée sur le côté, elle observe l’homme qui lui fait face.

" Ce que j’en pense ? Mmh… Faisons un marché. J’accepte ce que vous proposez, mais si je ne suis pas enchantée de vos méthodes ou autres, il vous faudra en subir les conséquences. Celles qui me feront réfléchir longtemps si vous ne comblez pas mes attentes… "

Un doux sourire s’afficha sur son visage aux traits fins, à la fois charmeur et sincère. Le chef de la milice était si sûr de lui pour relever ce petit défi ? Après tout, nul ne savait ce qu’elle déciderait si tout ce que l’homme ferait ne lui plairait pas…